N°841

Déposition faite par M. le comte Camille de Briey, Gouverneur du Luxembourg.

Le jeudi 13 août 1914, j’étais en instance auprès de l’Etat-Major du général von der Esch, afin d’obtenir un passeport qui me permît de sortir de la ville d’Arlon, où je me trouvais retenu depuis 24 heures. Je venais d’obtenir cette faveur par l’intermédiaire du capitaine von Puttkammer, lorsqu’un collègue de ce dernier s’approcha de moi et me demanda dans quelle localité je me rendais.

Sur la réponse qui lui fut faite que j’habitais le village d’Ethe, il s’écria  » C’est malheureux pour vous, car ce matin même on nous a téléphoné que trente paysans (dreizig Bauern) avaient tiré sur une de nos patrouilles et tué un de nos hommes. Pour ce fait le village sera brûlé.

Mais, me récriai-je, comment cela est-il possible, puisqu’on a pris toutes les armes que détenaient les habitants de ce village; il me semble dès lors de toute impossibilité que trente de ceux-ci aient pu faire usage d’armes contre vos patrouilles. » Puis, voyant que mon interlocuteur ne répondait rien, j’ajoutai : « Mais, n’y a-t-il pas moyen d’empêcher que ma commune ne soit incendiée, n’avez-vous à cet égard aucun avis à me suggérer? – Ecoutez, me dit l’officier, un dernier moyen vous reste peut-être pour éviter cette catastrophe.

Dès que vous rentré rentré chez vous, allez parcourir les rues du village, recommandez bien aux habitants de traiter avec égale faveur ou égale indifférence les patrouilles qui passeront chez vous, à quelque nation qu’elles appartiennent, et s’ils tiennent compte de vos recommandations, peut-être userons-nous de clémence à leur égard lors du passage de nos troupes. »

Au moment où s’achevait ce colloque, j’entendis une voix à côté de moi, qui disait en grommelant : « C’est tout de même trop tard, le village sera brûlé. » Je me retournai et j’aperçus un officier allemand tenant en main une carte d’état-major sur laquelle je vis le nom de ma commune encadré d’un cercle au crayon. Etait-ce là son arrêt de mort? Je me le suis demandé bien des fois.

Une heure plus tard j’étais chez moi et, détail intéressant, j’y trouvai l’officier blessé dans la rencontre du matin. Il me déclara que sa patrouille forte de 11 hommes avait été attaquée vers 5h30 en plein village, non par 30 paysans, mais par des soldats français cachés derrière le mur de la maison communale qui avaient tiré sur eux à 25 mètres de distance.

Je m’empressai ensuite de parcourir tout le village pour faire part aux habitants de la déclaration de l’Etat-Major allemand, et pour les engager à s’abstenir de tout acte d’hostilité. La démarche était du reste inutile, car pas un seul civil d’Ethe n’avait jamais eu la velléité de s’attirer les représailles de l’ennemi.